Démocratie et autonomie : quelles perspectives pour le travail ?
Des étudiantes et étudiants dits en « bifurcation », une prétendue « grande démission », des alertes nombreuses et récurrentes sur le mal être au travail ou encore les rêves de reconversion professionnelle de salarié.es en quête de « sens »... une série de faits sociaux montrent que la réflexion sur le travail en tant que tel – pas uniquement sous l’angle de l’emploi – doit redevenir centrale dans l’analyse des rapports productifs.
Il apparait en effet de plus en plus clairement que les dérèglements du capitalisme sous les aspects écologique, social, politique, ne pourront pas être dépassés sans penser à nouveau le thème du travail, renouant là avec une problématique ancienne concernant l’enjeu et les manières de désaliéner le travail « en pratique ». Un questionnement que la pensée économique, y compris sous sa forme institutionnaliste. L’enjeu essentiel était sans doute la construction d’un statut protecteur pour les salariés, davantage que celui d’une réappropriation du travail concret et du pouvoir de décision du travailleur, en dépit de son lien de subordination.
Par essence pluridisciplinaire, cette direction de recherche a donné lieu récemment à plusieurs publications, en économie, sociologie, sciences de gestion ou sciences politiques, qui explorent la piste d’une démocratisation substantielle du travail, pour permettre aux salarié.es d’agir sur le contenu et la finalité de leur activité. Ces travaux s’interrogent aussi sur l’enjeu social et politique, la possibilité et les conditions d’un véritable dépassement de la division entre conception et exécution du travail, héritée du taylorisme.
Les deux notions d’autonomie et de démocratie sont distinctes. L’autonomie renvoie à la possibilité pour les salarié.es de concevoir la tâche à réaliser (gestes, délais...) et d’organiser le travail – c’est-à-dire au fait de donner plus de place au « travail vivant » dans l’activité même. La démocratie au travail renvoie, elle, au fait de participer plus largement à la gouvernance et donc aux décisions de l’entreprise (telles que celle de sa finalité en particulier) de façon directe ou indirecte, par le biais de représentant.es. Les deux aspects de cette mise au travail ne sont donc pas systématiquement liés.
Par le lien opéré dans cet appel à articles, il s’agit de mettre en lumière la possible reconnexion entre le travailleur et son activité, et sa capacité à penser sur les choix de cette activité. Mais au-delà, se pose aussi la question des besoins sociaux que le travailleur remplit, la capacité de choix face à l’impératif environnemental, nécessitant alors de relier la question de la production, celle des besoins sociaux et le respect de la biosphère. Le fil de l’autonomie et de la démocratie au travail relie ainsi ce que le capitalisme, notamment dans sa version néolibérale, veut séparer : l’activité, les besoins, le respect du vivant. En faisant cela, il pose une question politique centrale.
L’objectif de cet appel à articles est de rassembler des contributions s’inscrivant dans l’optique d’un dialogue pluridisciplinaire de sciences sociales autour des formes, des obstacles et des enjeux de l’autonomie et de la démocratie au travail.
Pour traiter cette thématique, plusieurs pistes sont envisagées. Premièrement, il est possible d’explorer ces concepts à travers les expérimentations concrètes d’autres façons de produire (RSE, entreprises libérées, sociocratie, holacratie, coopératives, pratiques autogestionnaires, mouvement des communs etc.) en cherchant à cerner, sans naïveté, leur pouvoir émancipateur. Deuxièmement, il peut également s’agir de repérer les voies d’une démocratisation du travail, au sein de l’entreprise, et également en amont de la sphère productive, par les institutions qui conforment le travail (le système éducatif, le droit, la législation, l’action collective, etc.). Troisièmement, il serait également intéressant d’accueillir des contributions interrogeant plus largement les conséquences sociales de ces nouvelles formes de mises au travail, en termes d’émancipation réelle, ou au contraire de modes renouvelés de sujétion (par exemple par la mobilisation subjective des travailleurs et travailleuses) selon le registre de la psychopathologie du travail. Enfin, quatrièmement, une question essentielle semble aussi être celle de la relation entre démocratisation et émancipation du travail, et du lien avec le nécessaire tournant écologique de notre régime productif.
Nouvelles structures de mises au travail, nouvelles formes de « construction sociale » du travailleur, nouveaux enjeux d’autonomie et de sujétion du travail, rapport entre travail et écologie : le fil de la démocratie et de l’autonomie au travail nous amène au cœur de nos disciplines de sciences sociales.
Coordination : Nicolas Postel et Diane Rodet
Date limite d’envoi des textes : 15 décembre 2024
- Les articles, d’une longueur maximale de 60 000 signes (espaces et notes de bas de page compris), doivent parvenir par voie électronique à : rf-socioeconomieuniv-lillefr
- Ils doivent impérativement être présentés selon les normes éditoriales de la revue : note à l'attention des auteurs
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