La volonté de déconstruire l’image schumpétérienne de l’entrepreneur est une ambition ancienne et structurante des travaux de sociologie économique consacrés à l’entrepreneuriat qui, dans le sillage des travaux de Mark Granovetter sur l’encastrement, ont insisté sur le caractère collectif, social et socialisé de l’activité entrepreneuriale. La nouvelle sociologieéconomique qui s’est développée à la suite de ces travaux a alors insisté sur le rôle déterminant des réseaux de relations personnelles, des appuis institutionnels ou encore des dynamiques territoriales et locales, dans la création et le développement d’une entreprise.
Plus récemment, les travaux sociologiques et socio-économiques consacrés à l’entrepreneuriat se sont renouvelés, en soulignant notamment le rôle des statuts d’emploi et des opportunités offertes par les plateformes numériques dans le développement d’une activité entrepreneuriale. Une dimension reste encore peu documentée, celle du travail
proprement dit des entrepreneur·ses, qui permettrait pourtant de donner un nouvel éclairage à cette activité économique.
Ce dossier se propose donc de poursuivre l’opération de déconstruction de la figure schumpétérienne de l’entrepreneur en allant ouvrir la boîte noire du « travail entrepreneurial », dont il s’agira d’interroger les spécificités par rapport aux autres formes d’activités de travail d’un triple point de vue : du point de vue de sa relation aux différents statuts d’emploi (Axe 1), de son organisation quotidienne et de son articulation aux autres sphères sociales (Axe 2), ou encore du point de vue des rapports sociaux qui le traversent et le sous-tendent (Axe 3). Ce dossier thématique permettra ainsi de mieux saisir les contours de ce groupe social fortement hétérogène, en déplaçant le regard de la figure de l’entrepreneur à son activité concrète de travail.
 

Axe 1. Le travail entrepreneurial au prisme des statuts d’emploi : une activité entre travail salarié et travail indépendant

Le travail entrepreneurial pourra tout d’abord être envisagé au prisme des statuts d’emploi : si beaucoup de créateurs et créatrices d’entreprise s’engagent dans une carrière entrepreneuriale pour gagner en indépendance par rapport au salariat, comment cela se traduit-il en termes de statut d’emploi ? Les articles pourront ainsi étudier les différents statuts d’emploi mobilisés pour créer une entreprise, afin d’analyser comment le projet entrepreneurial s’inscrit dans les trajectoires professionnelles et personnelles des individus. Est-ce un emploi de transition visant à sortir du chômage ou à assurer son propre emploi, ou un moyen d’échapper à la subordination du salariat et de retrouver du sens et de l’autonomie au travail ? Dans une tradition castellienne, des approches socio-historiques seront aussi particulièrement bienvenues afin de réinscrire l’entrepreneuriat dans l’histoire longue du salariat et du travail indépendant. Les contributions pourront par ailleurs proposer une réflexion sur les catégories de classification
de l’Insee pour saisir quantitativement l’ampleur de l’activité entrepreneuriale. L’indépendance des chefs d’entreprise, artisans et commerçants suffit-il à justifier la mise en commun de ces situations professionnelles, pourtant profondément différenciées ? A l’inverse, comment prendre en compte les activités entrepreneuriales prenant appui sur le salariat ?

Axe 2. Le travail entrepreneurial : organisation et articulation d’une activité ordinaire

Le travail entrepreneurial pourra ensuite être analysé comme une activité de travail « ordinaire », c’est-à-dire organisée, divisée et articulée à d’autres sphères et temps sociaux, dont il s’agira d’étudier les formes d’organisation et d’articulation, notamment à la sphère domestique et familiale. Des contributions pourront ainsi mettre en évidence la pluralité des tâches – administratives, opérationnelles, stratégiques, commerciales ou techniques – qui constituent l’activité entrepreneuriale et étudier les formes de délégation, internes comme externes, dont elles font l’objet. Il s’agira d’interroger la valeur sociale de ces différentes tâches et de dégager ce qui relèverait du « sale boulot » ou du « vrai travail » entrepreneurial. Les contributions pourront tout particulièrement interroger le caractère genré de cette activité, en s’intéressant à la répartition du travail entrepreneurial dans les entreprises, mais aussi aux formes d’articulation avec le travail domestique et parental, le plus souvent assuré par les femmes.

Axe 3. Le travail entrepreneurial : réseaux d’acteurs et rapports sociaux

Le travail entrepreneurial pourra enfin être analysé du point de vue des rapports sociaux dans lesquels il s’inscrit. Si le travail entrepreneurial doit être envisagé comme fondamentalement collectif et encastré, il s’agira d’analyser précisément les relations qu’entretiennent les créateurs et créatrices d’entreprise avec les investisseurs, les client·es, les fournisseurs et les salarié·es qui participent à leur activité, mais également avec les structures, les institutions et les dispositifs sur lesquels ils et elles prennent appui. Comment ces réseaux d’acteurs et d’institutions permettent-ils de réduire l’incertitude liée à l’activité entrepreneuriale et à stabiliser les échanges ? Les travaux d’économie portant sur les aspects marchands de l’activité entrepreneuriale et la production de valeur économique seront reçus avec beaucoup d’intérêt.
S’inscrivant dans une approche profondément pluridisciplinaire, ce dossier sera attentif à valoriser des approches variées, issues de différentes disciplines – histoire, économie et sociologie – ou mobilisant diverses méthodes d’enquête – quantitatives et qualitatives.

Coordination : Sanja Beronja, Marion Flécher et Maud Hetzel

Date limite d’envoi des textes : 15 juin 2023

Les articles, d’une longueur maximale de 60 000 signes (espaces et notes de bas de page compris), doivent parvenir par voie électronique à : rf-socioeconomie[at]univ-lille.fr.

Ils doivent impérativement être présentés selon les normes éditoriales de la revue