Savoirs économiques et action publique : institutionnalisation et usages

Ouvert jusqu'au 15 mai 2021, étendu jusqu'au 30 juin 2021

Depuis deux décennies, les savoirs économiques, leurs modalités de production, de légitimation, de circulation et d’intervention dans l’élaboration et la justification de politiques publiques font l’objet d’un nombre grandissant de travaux en histoire, sociologie et science politique. En interrogeant l’organisation et le rôle des « économistes » au sens large, plusieurs approches suggèrent des voies d’articulation entre l’histoire interne des outils d’analyse économique et l’histoire externe, sociale et politique de la discipline et de l’expertise économique. Ce mouvement est également renforcé par les contributions d’historiens de la pensée économique et d’économistes institutionnalistes ouverts aux ressources conceptuelles et méthodologiques d’autres disciplines.

Cet appel à articles vise à encourager ce croisement de perspectives internes et externes pour approfondir la connaissance des transformations intervenues en matière de circulation de savoirs économiques depuis la mise en place d’institutions structurantes après-guerre jusqu’à nos jours (1945-2020). Sont attendus des travaux empiriques sur l’institutionnalisation d’espaces de production d’instruments et de connaissances économiques et/ou sur l’intervention de ces produits dans l’élaboration de politiques publiques.

Il s’agit ainsi d’étudier tout ou partie des processus par lesquels des savoirs économiques sont développés, institutionnalisés, utilisés et transformés en circulant : comment évoluent les institutions et les modalités d’intervention politique de l’économie-discipline ? que font les savoirs économiques à l’État et aux politiques publiques ? que font ces finalités politiques et mobilisations effectives au champ des économistes et aux savoirs eux-mêmes ? Sont en jeu non seulement la production et les usages des savoirs économiques en lien avec l’action publique, mais aussi les logiques qui président à la formation et à la sélection des acteurs autorisés à produire des diagnostics et à conseiller en matière de politique économique.

Pour traiter ces différents aspects, les enquêtes pourront privilégier l’une ou l’autre des entrées suivantes :

partir de la discipline et des politiques scientifiques, pour établir la socio-histoire d’une sous-disciplines, d’une approche, d’une institution d’enseignement, de recherche ou d’expertise économique, en étant attentif aux effets des réformes de l’enseignement supérieur et de la recherche sur la formation des économistes, les agendas de recherche, et la distribution des pouvoirs de valorisation au sein de la sphère académique.
partir d’un produit de l’expertise pour reconstituer son processus d’élaboration et sa trajectoire de circulation. L’analyse pourra également porter sur les effets que peuvent avoir ces circulations sur la sphère académique.
partir d’une politique économique, pour interroger le poids des économistes dans la prise de décision, en prêtant attention à l’élaboration de prévisions et de réformes inspirées, instrumentées et/ou légitimées par des économistes de différents statuts et de différentes approches.

Si les propositions concernant directement la France et sa trajectoire singulière seront particulièrement valorisées, elles pourront également être éclairées par des comparaisons avec des expériences étrangères. Les travaux empiriques documentant la circulation internationale des idées et les interdépendances entre pays et experts seront également appréciés.

Date limite d’envoi des textes : 15 mai 2021

Les articles d’une longueur maximale de 60 000 signes (espaces et notes de bas de page compris) doivent parvenir par voie électronique à : rf-socioeconomieuniv-lillefr. Ils doivent impérativement être présentés selon les normes éditoriales de la revue (Consignes aux auteurs).

Publication prévue : voir le calendrier prévisionnel

Privée, publique, commune, inappropriable ? La nature face à la propriété

Ouvert jusqu'au 15 janvier 2021, étendu jusqu'au 15 mars 2021

La crise écologique ébranle ce qui est au fondement même de nos sociétés, leurs valeurs et leurs institutions, c’est-à-dire la façon dont les humains ont conçu et organisé leur rapport à l’environnement naturel. Si ces modalités ont pris des formes variées à travers l’histoire [Descola 2005], le naturalisme occidental – qui réalise un grand partage binaire entre humains et non-humains, esprit et corps, culture et nature – a contribué à une exploitation sans précédent des milieux naturels. Les conséquences d’un tel schème de représentation et de domination, fondé sur l’asymétrie des relations entre les êtres vivants, humains et non humains, débordent aujourd’hui nos propres capacités d’analyse et de réaction, comme le démontrent de multiples travaux, à l’instar de ceux sur les « seuils planétaires » [Steffen et al. 2015]. Une des modalités de cette expansion sans limite du projet de maîtrise anthropique sur la nature se manifeste notamment dans les formes d’appropriation des terres et du vivant.

Or, depuis les années 1990, la conception libérale de la propriété souveraine exclusive est largement remise en cause, ouvrant la voie à d’autres modes de conceptualisation des rapports d’appartenance et de possession [Vanuxem 2018]. Perçue et agie tantôt comme un outil de protection environnementale, tantôt comme l’instrument privilégié de l’exploitation et de la marchandisation de la nature, la propriété est devenue une notion controversée, aux contours flous, qui n’a plus rien de la catégorie juridique stable et universelle à laquelle elle était volontiers apparentée depuis le xixe siècle. En tant que telle, elle a donné lieu à des réflexions fécondes, souvent normatives, en droit, en philosophie du droit et en économie. En outre, l’alternative opposant propriété publique et propriété privée – et qui visait bien souvent à souligner les avantages de la seconde, par exemple lors de la mise en place de marchés de droits à polluer – a fait place à une troisième option, l’appropriation commune ou collective, redécouverte et promue par des cadres théoriques et des mouvements sociaux qui la conçoivent comme une façon plus acceptable de s’approprier la nature ou, plutôt, de la rendre inappropriable. Au sein même de cette dynamique, certains philosophes et sociologues considèrent en effet que « le commun », renvoyant à une praxis, ne peut être conçu « que comme inappropriable, en aucun cas comme l’objet d’un droit de propriété » [Dardot, Laval 2014, 233].

Si la propriété privée souveraine est contestée, dans le même temps, les pratiques d’appropriation exclusive et de dégradation des milieux naturels ne cessent de se multiplier et de se transformer. Ces pratiques comme les résistances qu’elles rencontrent se manifestent concrètement à travers des agencements matériels, des activités, des usages, des techniques, des conflits, des rapports de pouvoir, des registres de lutte et des « économies morales » qui composent des régimes d’appropriation hybrides, qu’il reste à caractériser empiriquement, dans leur contexte socio-historique. À cet égard, les travaux en histoire environnementale [Fressoz et al. 2014 ; Quenet 2014] s’emploient depuis les années 1970 à documenter les reconfigurations pluriséculaires des liens entre propriété et environnement [Graber, Locher 2018]. C’est à l’actualité de cette question que ce dossier entend contribuer dans une perspective interdisciplinaire, croisant études environnementales, sociologie des territoires, anthropologie de la nature et socio-économie.

Il s’agit de rassembler des articles analysant comment, de nos jours, se recomposent les frontières et rapports entre propriétés collectives, publiques et privées. Dans quelle mesure les concessions domaniales, parcs nationaux et autres dispositifs étatiques sont-ils des outils d’exploitation ou de conservation des ressources naturelles ? Comment les associations de protection environnementale entendent-elles protéger la nature sauvage par le recours à l’acquisition foncière ? Autrement dit, en quoi la propriété privée peut-elle servir l’intérêt public par des formes de contre-appropriations collectives [Morizot, 2019] ? Quelles formes politiques et juridiques permettent d’expérimenter en pratique « le commun », notamment dans les luttes s’opposant aux grands projets d’aménagement ? À quelles conditions l’acte de s’approprier un territoire peut-il préserver une pluralité d’usages et en réguler la conflictualité ? Quel statut pour les zones de protection de la « part sauvage du monde » évoquées par Maris [2018] ?

Conformément à l’esprit de la revue, nous invitons l’ensemble des chercheuses et chercheurs en sciences sociales s’intéressant à ce questionnement à proposer une contribution à ce dossier.

Date limite d’envoi des textes : 15 janvier 2021

Les articles, d’une longueur maximale de 60 000 signes (espaces et notes de bas de page compris), doivent parvenir par voie électronique à : rf-socioeconomieuniv-lillefr. Ils doivent impérativement être présentés selon les normes éditoriales de la revue (soumettre un article).

Publication prévue : voir le calendrier prévisionnel

Bibliographie

Dardot P., Laval C. (2014), Commun. Essai sur la révolution au XXIe siècle, Paris, La Découverte.

Descola P. (2005), Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard

Fressoz J. et al. (2014), Introduction à l’histoire environnementale, Paris, La Découverte.

Graber F., Locher F. (dir.) (2018), Posséder la nature. Environnement et propriété dans l’histoire, Paris, Éd. Amsterdam.

Maris V. (2018), La part sauvage du monde. Penser la nature dans l’Anthropocène, Paris, Seuil.

Morizot B. (2019), « Raviver les braises du vivant. En défense des foyers de libre évolution », hal-02183915 (URL : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02183915).

Quénet G. (2014), Qu’est-ce que l’histoire environnementale ?, Seyssel, Champ Vallon.

Steffen W. et al. (2015), « Planetary boundaries: Guiding human development on a changing planet », Science, 347 (6223) : 1-10.

Vanuxem S. (2018), La propriété de la terre, Marseille, Wildproject.

Actualité et interrogations critiques autour des travaux de Karl Polanyi

Ouvert jusqu'au 30/03/2020

Historien, anthropologue, économiste, sociologue, Karl Polanyi [1886-1964] est un auteur très emblématique des sciences sociales. C’est aussi un auteur-frontière qui fait dialoguer entre elles les sciences sociales. Sans être jamais complètement assimilé à l’une d’entre elles, il occupe souvent -hormis peut-être en anthropologie -  une place à la fois éminente et un peu marginale. Cet auteur atypique connaît une actualité récente.

Au plan politique, cette actualité est liée la prise de conscience des menaces qu’un capitalisme non régulé fait peser sur la stabilité des régimes démocratiques. Le lien qu’opère Polanyi dans La Grande Transformation (1944) entre libéralisme économique et dégénérescence fasciste semble aujourd’hui une clé pertinente de compréhension de la résurgence des mouvements d’extrême droite en Europe et dans le monde.

Sur le plan théorique, des parutions récentes de Jean-Louis Laville, Isabelle Ferreras ou Jérôme Maucourant, et des mouvements vers des formes alternatives d’économie, interrogeant la nécessaire hybridation des sciences sociales, indiquent la vivacité des questions que pose Polanyi, ne serait-ce qu’au travers de l’opposition entre « économie substantive » et « économie formelle », ou bien encore à travers sa revendication de la multiplicité des types d’organisation de la circulation des marchandises (telles ses quatre « formes d’intégration » : domestique, réciprocité, redistribution et échange).

Cette actualité ne va pas sans interrogations critiques des interprétations de Polanyi, qui forment autant de lignes de réflexion, pratiques et théoriques :

  • son interprétation de la notion de marché en termes de marchandisation (notamment dans le temps long),
  • le hiatus entre sa thèse du (dés)encastrement et sa réinterprétation par la nouvelle sociologie économique (notamment chez Mark Granovetter),
  • l’incomplétude de sa description de la « grande transformation »,
  • le thème de la socialisation de la production dans une société complexe, que la thématique des communs vient renouveler,
  • la pertinence de son cadre analytique pour analyser le champ de l’économie sociale et solidaire relativement à l’économie capitaliste,
  • le rôle ambigu de l'Etat, entre institutionnalisation des systèmes de marchés (dits autorégulateurs) et dispositifs visant à en corriger les excès sociaux et environnementaux,
  • l’actualité et le renouvellement de la notion de marchandises fictives,
  • l’interrogation quant à une éventuelle distinction entre des systèmes économiques non capitalistes et capitalistes

Cet appel à articles vise à interroger la pertinence des thèses de Karl Polanyi, et/ou de leurs réinterprétations,  pour comprendre, analyser et décrire les mutations des capitalismes. Il est ouvert à toute perspective disciplinaire (histoire, anthropologie, gestion, sociologie, économie, science politique, philosophie, etc.) et méthodologique (interrogation théorique ou épistémologique, analyse appliquée, réflexion méthodologique, etc.).

Les articles, d’une longueur maximale de 60 000 signes (espaces et notes de bas de page compris), doivent parvenir par voie électronique à : rf-socioeconomieuniv-lillefr. Ils doivent impérativement être présentés selon les normes éditoriales de la revue (soumettre un article).

Date limite d’envoi des textes : 30 mars 2020

Publication prévue : voir le calendrier prévisionnel